Explication linéaire N°1 " Correspondances" de Charles Baudelaire


Correspondances (IV)
Charles Baudelaire: Les Fleurs du Mal

Explication linéaire

Problématique

En quoi ce sonnet illustre-t-il un Baudelaire moderne, précurseur du symbolisme ?

Introduction

·               Après avoir désigné, dans « Au lecteur », l’Ennui comme le plus grand ennemi, Charles Baudelaire tente d’échapper au spleen par l’intermédiaire de l’Idéal. Pour exprimer ce désir d’élévation vers le monde spirituel, il crée une poésie symboliste.

·               Le symbolisme part du principe que chaque chose matérielle sur terre est le symbole, la correspondance d’une chose spirituelle. Le sonnet « Correspondances » ajoute à cette relation verticale – entre monde matériel et monde spirituel – une seconde relation. Il s’agit cette fois d’une relation horizontale : chaque chose matérielle, perçue par les sens, évoque, correspond à une autre chose matérielle, sensible.

·               Chaque sens est capable d’en évoquer un autre. On appelle cela les synesthésies. Nous étudierons donc ce sonnet en nous demandant en quoi il est représentatif de la modernité de Baudelaire, précurseur du symbolisme.

·                Pour ce faire, nous étudierons dans une première partie les correspondances verticales puis, nous analyserons le rôle-clef que joue le poète, intermédiaire entre la Nature et les hommes, et les correspondances horizontales, en enfin nous étudierons l’art du poète.

Première strophe: Les correspondances verticales

·               Le lecteur entre dans ce sonnet comme un voyageur dans un temple: « La Nature est un temple »: la métaphore sacralise la Nature et en fait un temple naturel, où l'homme est en communion avec le divin.

·               Mais ce temple est vivant et tente de communiquer avec l'homme:

·                « […] où de vivants piliers / Laissent parfois sortir de confuses paroles »:

·                Les « vivants piliers » sont peut-être des arbres, quoi qu'il en soit, la « Nature » émet des sons auxquels l'homme reste sourd comme l'indique l'adjectif « confuses ».

·               La Nature sollicite également la vue des humains: « L'homme y passe à travers des forêts de symboles »: ce que l'être humain voit n'est qu'une incarnation matérielle du monde spirituel.

·               Mais encore une fois, l'homme reste aveugle à ces symboles, puisqu'il ne les voit pas: ce sont les symboles qui observent l'homme et non l'inverse: « Qui l'observent avec des regards familiers »: l'homme est familier à la Nature, alors que celle-ci ne lui est pas du tout familière puisqu’il « passe » de manière éphémère, il y passe sans la voir.

·                Le poète crée chez le lecteur des  images mentales. Dans ce premier quatrain, le lecteur est amené à voir un temple prendre vie, des arbres avoir des yeux: voilà le rôle du poète: il dévoile ce que les hommes ne verraient pas sans lui.

Deuxième strophe :

·               1. Le rôle du poète :

·               Seuls quelques élus - les poètes - sont capables d'entendre les sons de la Nature. Un poète qui comprend « Le langage des fleurs et des choses muettes » (cf. « Élévation ») nous révèle quelles sont les voix de la Nature. Les « confuses paroles » ne sont pas confuses pour le poète. 

·               Il en va de même pour l'unité synesthésique du monde. Le poème nous dit au vers 6 que cette unité est « ténébreuse ». Or, le poète voit clair dans ces ténèbres puisque cette unité « ténébreuse » peut être comparée par lui a de la « clarté ». 

·               Le poète fait également entendre les sons de la Nature au vers 5: « Comme de longs échos // qui de loin se confondent ». Dans chaque hémistiche, les sons consonantiques se répètent: K D L K // K D L K D, ainsi que les son vocaliques: O ON O // ON ON.

·               L'imperfection de la symétrie fait entendre au lecteur ce que le poème dit: de loin, d'un hémistiche à l'autre, les sons se confondent: le lecteur est donc mis dans la situation de celui qui entend les sons de la nature. 

·               2. Les correspondances horizontales: Théorie des synesthésies.

·               Tandis que le monde visible est relié au monde invisible de manière verticale, tous les éléments du monde visible sont reliés entre eux de manière horizontale: ils se correspondent: c'est cela que le suédois Swedenborg avait nommé les synesthésies

·               Le vers qui formule le plus clairement la théorie des correspondances horizontales est le vers 8: « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent »: la synesthésie n'est pas, selon Swedenborg, un simple phénomène neurologique qui affecte certaines personnes, elle est une réalité du monde sensible: chaque sensation correspond, dans son essence même, à une autre. 

·               C'est en tout cas ce que semblent indiquer les vers 9 et 10: « Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants, / Doux comme les hautbois, verts comme les prairies »: le verbe « être » au présent de vérité générale indique que certains parfums correspondent à une sensation tactile (« frais comme des chairs d'enfants »), à une sensation auditive (« doux comme les hautbois »), et à une sensation visuelle (« verts comme les prairies »). 

Les deux tercets :

                    Le parfum: au croisement de l'horizontal et du vertical :

Le sens que Baudelaire développe dans les deux tercets est l'odorat: « Il est des parfums frais […] doux […] verts […] Et d'autre corrompus, riches et triomphants » : il s'agit du sens le plus apte à relier le monde horizontal avec le monde vertical de l'invisible:

·               En effet, en tant que sens, l'odorat fait partie du monde physique, mais il s'agit du sens le plus immatériel, et en cela il est le plus apte à faire la liaison entre monde physique et monde immatériel. 

·               « Qui chantent les transports de l'esprit et des sens »: les parfums créent une fusion finale entre le monde spirituel et le monde physique. Par l'intermédiaire du parfum, l'homme réalise la fusion entre le corps et l'esprit et peut aspirer à l'idéal.

·               2) L'art du poète est finalement supérieur à la nature

·               Après avoir comparé des parfums qui évoquent une nature bucolique: les « chairs d'enfants », les vertes « prairies », le son du « hautbois », le poète utilise un tiret au vers 11. Ce tiret indique un changement de registre:

·               le poète laisse de côté ces parfums bucoliques et naturels qui ne l'intéressent pas et qu'il ne nomme pas, pour s'intéresser à quatre parfums qu'il nomme mais que, cette fois, il ne compare pas: « Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens ».

·               Ce sont des parfums « corrompus » car ils sont artificiels et non pas naturels, tout comme la poésie de Baudelaire est un artifice qui transforme la Nature en Art.

·               Ce sont des parfums « riches » car ils sont capiteux (c'est à dire qu’ils sentent forts) tout comme la poésie de Baudelaire.

·               Enfin, le dernier vers du poème annonce le triomphe de ces productions humaines: « Qui chantent les transports de l’esprit et des sens » : À l'image de ces parfums artificiels, la création artificielle qu'est la poésie permet seule la fusion idéale du corps et de l’esprit.

Conclusion

·               L’ouverture du recueil semble donc dans un premier temps poursuivre une tradition poétique : celle du poète « voyant », entendant les voix de la Nature. Mais très vite Baudelaire rompt avec la tradition pour affirmer le règne de l’Art et de l’artifice, supérieurs à la Nature. « Correspondances » de Baudelaire nous fait penser au poème « Voyelles » de Rimbaud qui, lui, fait correspondre les lettres et les couleurs.

Textes complémentaires

·               Texte complémentaire Nº1 : « L’Albatros » (II)

·               Texte complémentaire Nº2 : « Élévation » (III)

9 commentaires:

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