Explication linéaire 2

Spleen LXXV Les Fleurs du Mal, section Spleen et idéal.

·               Pluviôse, irrité contre la ville entière,
De son urne à grands flots verse un froid ténébreux
Aux pâles habitants du voisin cimetière
Et la mortalité sur les faubourgs brumeux.

·         Mon chat sur le carreau cherchant une litière
Agite sans repos son corps maigre et galeux ;
L'âme d'un vieux poète erre dans la gouttière
Avec la triste voix d'un fantôme frileux.

·         Le bourdon se lamente, et la bûche enfumée
Accompagne en fausset la pendule enrhumée
Cependant qu'en un jeu plein de sales parfums,

·         Héritage fatal d'une vieille hydropique,
Le beau valet de cœur et la dame de pique
Causent sinistrement de leurs amours défunts.

Problématique

·         En quoi le spleen baudelairien aboutit-il à une désagrégation du moi ?

Introduction

·         Le mot spleen est emprunté à un mot anglais qui signifie « rate », puis, par extension « humeur noire ». C’est un type de mélancolie se caractérisant par un dégoût généralisé et sans cause.

·         Le poème soixante-quinze est le premier d’une série de quatre poèmes qui portent le même titre : « Spleen ». Notre poème ouvre donc cette série et, à ce titre, il est celui qui indique et met en place les différentes caractéristiques du spleen baudelairien.

·         Nous étudierons plus spécifiquement en quoi ce spleen aboutit à une désagrégation du moi. Pour ce faire, nous tentons de définir, dans une première partie, les principales caractéristiques du spleen baudelairien, avant d’étudier, dans une seconde partie, en quoi le spleen aboutit à la dépersonnalisation. Dans un troisième temps, nous étudierons le futur sombre qui s’annonce dans les deux tercets.

Le premier quatrain: (l’humidité : source de chagrin et de maladie)

·         Le premier terme du poème, « Pluviôse », est caractérisé par sa situation initiale et par sa diérèse. Il contient en effet toutes les connotations opératoires du poème. Le sonnet s’ouvre sous le signe de l’humidité envahissante que confirme l’adjectif « entière » à la fin du premier vers.

·         Deux temps se proposent: Le temps qu’il fait et le temps qu’il est- le temps de la pluie, le temps de l’année désigné par le mois du calendrier républicain.

·         Pluviôse utilise son urne pour verser le « froid », propice à créer la maladie.

·         Plus précisément, il s’agit du cœur de l’hiver; Pluviôse, se situant entre Nivôse et Ventôse ( environ du 20 janvier au 20 février), indique le centre de la saison morte. Le calendrier instauré en 1793 rappelle le règne de la destruction et de la mort, que concrétise l’attribut funèbre de Pluviôse, l’urne.

·         Champ lexical de l’eau et du froid : mort ( « Pluviôse » « froid ténébreux » « ville entière » « cimetière » « faubourg brumeux »)

·         La mort dans la ville se poursuit par les images des vers du quatrain : "urne", "froid ténébreux", "cimetière", "mortalité", "brumeux". Le champ lexical de la grisaille se mêle à celui de la mort.

·         Les connotations sont mortuaires et répondent à l'état d'âme du sonnet. La sensation se traduit d'un point de vue physique et "toute la ville " est frappée. La mort semble appeler de manière violente et angoissante les habitants. La ville est persécutée par l'appel de la mort.

Le deuxième quatrain : La dépersonnalisation du poète

·         Le deuxième quatrain est soumis à la même violence, du froid et de la mort, le poète et son chat sont victimes, "frileux", "gouttière", "maigre et galeux".

·         La mention de la « gouttière » à la deuxième strophe permet de filer ce thème dans le poème, tout comme l’eau parcourt la gouttière.

·         Le poète se présentant avec l’article indéfini et sa voix appartenant au fantôme frileux, l’âme du poète flotte simplement au milieu de l’indéfini, comme un être dépersonnalisé ou anonyme.

·         Ainsi, « spleen » est traversé par la « dépersonnalisation » du poète, qui se traduit par une absence de subjectivité. Baudelaire emploie la marque de l’impersonnel, car le poète s’efface peu à peu pour laisser place aux objets qui sont personnifiés, tandis que le poète se dépersonnalise.

·         Comme Victor Brombert l’a montré ( dans la revue Romantisme, N°6, 1973), La notion de « spleen » va ici main dans la main avec une certaine tendance à la dépersonnalisation qui se traduit par le fait que la seule indication directe de subjectivité est l’adjectif possessif du V.5 « mon chat ». Plus que de mélancolie, au sens romantique et poétique du mot, il s’agit d’un poème de la maladie ( ou du froid) et de la mort.

·         Parmi cette multiplicité de sujets, seul le chat existe à l’intérieur du poème. Mais ce n’est pas lui qui parle.

·         Quelqu’un cependant parle dans ce sonnet ; mais où est ce moi ? L’unique pronom personnel à la première personne paraît au vers 5 ; il renvoie justement au chat (seul être animé).

·         L’équation suivante se propose : mon chat = l’âme du poète. Cependant l’âme du poète est comparée à un « fantôme », cela constitue donc une sorte de mort, une dépersonnalisation définitive.

Les deux tercets : Le futur sombre

·         A la dernière strophe, Il est question d’une « vieille hydropique ». L’hydropisie est une maladie due à une accumulation de liquides à l’intérieur du corps. Cette fois, l’humidité – comme le spleen – pénètre jusque dans l’intériorité de l’être.

·         Le futur est ici évoqué par l'image des cartes : "Le beau valet de cœur et la dame de pique" : Les cartes disent l'avenir mais c'est un jeu "plein de sales parfums". Nous nous éloignons des Correspondances/ Les parfums exotiques ne sont pas mis en valeur.

·         Les parfums, les couleurs et les sons ne se répondent plus. Il n'y a plus d'harmonie "sales parfums". Cela peut se rapprocher de l'oxymore des Fleurs du mal. Les cartes n’étant autres que les poèmes. Une poésie qui demeure la seule voix perçue par le poète.

·         Les cartes connotent la fatalité et le destin du poète.

·         La structure du sonnet fait que le dernier mot « défunts » répond de manière circulaire au premier mot qui évoque cette divinité mortifère (« Pluviôse »)

·         L'environnement sonore est celui d'un « bourdon » qui « se lamente ». Il s'agit du glas d'une église, qui sonne à l'occasion des enterrements. Après l'urne, la mort se répand donc de manière auditive. 

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