Analyse d'un texte argumentatif: Histoire des deux Indes Diderot, Abbé Raynal (1770)

Histoire des deux Indes 

Diderot, Abbé Raynal (1770)

Extrait de « Histoire des deux Indes », Diderot, Abbé Raynal (1770)

 « - Mais les nègres sont une espèce d’hommes nés pour l’esclavage. Ils sont bornés, fourbes, méchants ; ils conviennent eux-mêmes de la supériorité de notre intelligence, et reconnaissent presque la justice de notre empire.

- Les nègres sont bornés, parce que l’esclavage brise tous les ressorts de l’âme. Ils sont méchants, pas assez avec vous. Ils sont fourbes, parce qu’on ne doit pas la vérité à ses tyrans. Ils reconnaissent la supériorité de notre esprit, parce que nous avons perpétué leur ignorance ; la justice de notre empire, parce que nous avons abusé de leur faiblesse. Dans l’impossibilité de maintenir notre supériorité par la force, une criminelle politique s’est rejetée sur la ruse. Vous êtes presque parvenus à leur persuader qu’ils étaient une espèce singulière, née pour l’abjection et la dépendance, pour le travail et le châtiment. Vous n’avez rien négligé pour dégrader ces malheureux, et vous leur reprochez ensuite d’être vils.

- Mais ces nègres étaient nés esclaves.

- A qui, barbares, ferez-vous croire qu’un homme peut-être la propriété d’un souverain ; un fils, la propriété d’un père ; une femme, la propriété d’un mari ; un domestique, la propriété d’un maître ; un nègre, la propriété d’un colon ? Etre superbe et dédaigneux qui méconnais tes frères, ne verras-tu jamais que ce mépris rejaillit sur toi ? […]

- Mais l’esclave a voulu se vendre. S’il s’appartient à lui-même, il a le droit de disposer de lui. S’il est maître de sa vie, pourquoi ne le serait-il pas de sa liberté ? C’est à lui à se bien apprécier. C’est à lui à stipuler ce qu’il croit valoir. Celui dont il aura reçu le prix convenu l’aura légitimement acquis.

- L’homme n’a pas le droit de se vendre, parce qu’il n’a pas celui d’accéder à tout ce qu’un maître injuste, violent, dépravé pourrait exiger de lui. Il appartient à son premier maître, Dieu, dont il n’est jamais affranchi. Celui qui se vend fait avec son acquéreur un pacte illusoire : car il perd la valeur de lui-même. Au moment qu’il la touche, lui et son argent rentrent dans la possession de celui qui l’achète. Que possède celui qui a renoncé à toute possession ? Que peut avoir à soi, celui qui s’est soumis à ne rien avoir ? Pas même de la vertu, pas même de l’honnêteté, pas même une volonté. Celui qui s’est réduit à la condition d’une arme meurtrière, est un fou et non pas un esclave. L’homme peut vendre sa vie, comme le soldat ; mais il n’en peut consentir l’abus, comme l’esclave : et c’est la différence de ces deux états. »

·               Quel est l'intérêt de la forme dialogique pour construire une argumentation?

Objectifs:

·               Découvrir l’intérêt de la forme dialogique dans une argumentation, repérer les différentes thèses en présence, reformuler les arguments, identifier les moyens de persuasion employés

Support

·               Extrait de « Histoire des deux Indes », Diderot, Abbé Raynal (1770)

Introduction

·               L’Histoire des deux Indes est une œuvre considérable (10 volumes), parue en 1770.L’idée de l’abbé Raynal dans cette œuvre est de faire l’histoire des entreprises européennes dans l’Inde orientale et dans le Nouveau Monde, en montrant l’influence des grandes découvertes géographiques sur la civilisation.

·               C’est un ouvrage collectif. Diderot y collabora, et rédigea probablement les pages consacrées à l’esclavage. Il appelle d'ailleurs l'homme noir à se rebeller, à se libérer.

·               Cet ouvrage est l'ouvrage de référence de Toussaint Louverture, le leader de la révolution de Saint-Domingue en1791. La révolte de Saint-Domingue (après la Révolution française), qui aboutit à l'indépendance d'Haïti, et qui cause la mort de milliers de blancs, préfigure la première abolition de l'esclavage de 1793. Celui-ci sera rétabli par Napoléon en 1802 et de nouveau aboli en 1848 par Lamartine.

Pourquoi, à votre avis, avoir choisi la forme dialogique?

·               La forme dialogique permet de mettre en présence les deux thèses et leurs différents arguments. Cette confrontation permet de montrer de manière efficace que les arguments des esclavagistes peuvent être très facilement réfutés. Il s'agit ici de convaincre le lecteur de la faiblesse de la thèse esclavagiste, que l'on met en scène pour mieux détruire.

Repérez puis reformulez les arguments avancés par le premier des deux locuteurs de ce texte.

·               Les arguments avancés par le premier des deux locuteurs sont tout d'abord, l.1, le fait que les noirs sont inférieurs de nature, puis, l.2, que ces derniers acceptent la supériorité des blancs, ensuite, l.11 qu'il naissent esclaves et appartiennent aux blancs, et enfin, l., 16 qu'ils sont libres de s’affranchir, autrement dit qu'ils décident eux-mêmes d’être esclaves. 

Repérez et reformulez les arguments avancés par le second locuteur.

·               Les arguments avancés par le deuxième des deux locuteurs sont tout d'abord, l.4, le fait que l'esclavage déforme les âmes, puis, l.8-9 , que ce sont les blancs qui ont persuadé les noirs de leur infériorité, ensuite, l. 12-14, qu'aucun homme n'appartient à un autre homme, et enfin, l.25, que celui qui se vend n'a plus de raison.

À partir de ce que vous avez trouvé pour chacun, reformulez leur thèse.

·               Selon le premier locuteur, il faut maintenir l’esclavage. Selon le deuxième, il faut l'abolir.

Observez la longueur des répliques des deux locuteurs : quel constat faites-vous ?

·               Les répliques du deuxième locuteur sont beaucoup plus longues.

Quelle conclusion en tirez-vous sur l'argumentation qui sera la plus apte à convaincre un lecteur ? Comment expliquez-vous dans ce cas le choix de la forme dialogique ?

·               L’argumentation du deuxième locuteur sera plus apte à convaincre car elle est plus développée, plus présente.

·               Le premier locuteur est là pour relancer le dialogue, pour permettre au deuxième d’avancer d’autres arguments, pour créer une forme d’argumentation plus dynamique. Ses arguments permettent de créer une polémique, de faire réagir le deuxième locuteur, et le lecteur.

De quel registre ce texte vous semble-t-il relever?

·               Le registre polémique caractérise ce qui relève du combat. Un discours polémique est un discours qui attaque des idées ou des personnes. C'est précisément ce que nous avons ici. Le deuxième locuteur combat les idées esclavagistes et par là même son interlocuteur qui en est ici le représentant. Le registre polémique apparaît d'ailleurs souvent à travers la forme du débat, présente ici.

·               Un texte polémique est marqué par la violence verbale, les mots jouent le rôle d'une arme. Les procédés d'écriture visent la persuasion. On peut trouver un lexique exprimant la violence, le refus, l'horreur. Le locuteur tente de ridiculiser, rabaisser, ou détruire les idées qu'il combat. Le lexique se rapportant aux idées combattues est donc en général  péjoratif.

·               Les figures les plus représentatives du registre polémique sont l'anaphore, qui permet le martèlement des formules, l'hyperbole, pour exprimer la violence, le refus, le dégoût, portés à leur paroxysme, les métaphores et les comparaisons, pour donner au discours un caractère imagé d'une grande efficacité.

·               La ponctuation est souvent expressive, l'expression de la colère passe par des interpellations de l'interlocuteur, des interjections.

Relevez les termes qui, se rapportant aux esclavagistes, sont connotés négativement.

·               Le deuxième locuteur utilise des termes essentiellement péjoratifs pour qualifier l'attitude des esclavagistes:  "brise" l.4,  "tyrans" l.5 , "abusé" l. 7, "criminelle" l.8, "ruse" l. 8, "dégrader" l.10 , "barbares" l. 12, "superbe" l.14 , "dédaigneux" l. 14, "mépris" l. 15,  "injuste, violent, dépravé" l. 19-20

·               Cela lui permet d'opérer un renversement: ce ne sont pas les esclaves qu'ils rabaissent, mais ceux qui tolèrent et profitent de l'esclavage. Ce renversement est particulièrement visible à travers l'utilisation du terme "barbare" que l'on utilisait à l'époque précisément pour qualifier ces peuples que l'on croyait inférieurs.

Relevez les figures de style caractéristiques du registre et interprétez-les.

·               On remarque dans ce texte le parallélisme de construction des phrases, que mettent en évidence les différentes anaphores. L'anaphore parcourt le texte, elle permet au locuteur de marteler ses formules, d'insister sur ces idées, et de frapper ainsi l'esprit de l'interlocuteur, et du lecteur.

·               On peut notamment relever l'anaphore de "parce que" l. 4 à 7, qui permet de montrer en quoi l'attitude des esclaves est parfaitement justifiée et en quoi les arguments de l'esclavagiste sont facilement réfutables,  du groupe nominal "la propriété d'un", répété cinq fois, l. 12 à 14,  qui insiste sur l'aspect profondément ignoble de cette formule, et du pronom interrogatif "que"  l.22-23 et de l'expression "pas même", l. 23-24, qui insistent sur l'absence de toute possession, quelles qu'elles soient.

·               Le locuteur utilise deux figures d'analogie, une comparaison, et une métaphore. La métaphore compare l'esclavage à "une arme meurtrière" l.25. Elle permet d'appuyer la thèse en introduisant le thème de la mort: l'esclavage permet de tuer en toute impunité.

·               La comparaison, l. 25, permet d'établir une différence essentielle entre le soldat et l'esclave, c'est-à-dire entre le fait de vendre sa vie, c'est-à-dire de se sacrifier pour une cause que l'on croit juste, et le fait de consentir l'abus, c'est-à-dire de se sacrifier pour rien. Pour le locuteur, il est impensable que l'esclave choisisse une condition aussi abominable. Ou alors il a perdu sa raison.

Quels sont les sentiments qui animent le deuxième locuteur? Quels procédés d'écriture traduisent ces sentiments? En quoi aident-ils à persuader le lecteur d'adhérer aux idées du deuxième locuteur?

Le deuxième locuteur semble plein de colère, d'indignation, et de révolte. Ces sentiments sont visibles à travers les différents procédés que l'on vient de voir (utilisation d'un lexique péjoratif, anaphore), mais aussi à travers l'utilisation récurrente de l'interrogation oratoire l.12-15 et 22-23, et de la deuxième personne ("vous", l. 5, 8, 9, 10, 12 ; « toi » l.15 ;, « tu » l.14 ; « tes » l .14) Qui accusent l'interlocuteur, et à travers aussi l'interpellation du lecteur, puisque le locuteur utilise la première personne ("nous" l. 6-7"notre" l.6-7) pour faire en sorte que le lecteur se sente directement concerné, qu'il réfléchisse, et qu'il adhère.

Conclusion

·               L'esclavage symbolise la rupture entre l'Ancien régime perçu comme autoritaire et l'Ere nouvelle présentée comme l'arrivée de la liberté et de l’égalité. 

·               L'Histoire des deux Indes constitue un  long pamphlet (texte critique qui attaque avec violence). L'auteur utilise ici la forme du dialogue fictif afin de démontrer l'injustice faite aux esclaves.

·               La forme dialogique de ce texte est particulièrement efficace parce qu'elle permet de faire confronter les thèses en présence de manière vivante, de montrer la défaillance de l'argumentation en faveur de l'esclavage, et de laisser libre cours aux sentiments du deuxième locuteur dont la colère et l'indignation permettent au lecteur d'être touché et de réfléchir.

·               L'argumentateur parvient donc son entreprise de persuasion grâce à la maîtrise de son discours et à l'expression de ses sentiments.

 

Initiation à l'argumentation

Introduction générale

·               L’Argumentation fait partie de notre vie quotidienne. Il n’est guère de pages de journal, de séquence à la radio, ou à la télévision qui n’exposent ou ne rapportent les arguments d’un éditorialiste, d’un invité, d’un homme politique, d’un auteur, d’un critique...; les textes ou les présentations explicitement publicitaires argumentent pour justifier l’achat ou la consommation d’une marchandise ou de quelque produit culturel.

·               Chacun de nous, par ailleurs, à divers moments, en diverses circonstances, est amené à argumenter, qu’il s’agisse de plaider sa cause, de justifier sa conduite, de condamner ou de louer amis, adversaires, hommes publics ou parents, de peser le pour et le contre d’un choix ou d’une décision.

·               L’apparition d’une théorie de l’argumentation se situe à la croisée de plusieurs directions de pensée. L’intérêt pour l’argumentation n’est pas neuf. Cette discipline est étroitement liée à l’histoire de la philosophie, de la rhétorique et du discours.

·               L’Argumentation, comme toutes les sciences humaines, a ses mythes fondateurs. Dès le Ve siècle avant J.C, les sophistes l’enseignaient afin de remporter l’adhésion des auditoires les plus divers. Les avocats et les hommes politiques étaient formés par les meilleurs rhéteurs de l’époque.

I. Les différents éléments d’un texte argumentatif

·               Quels que soit la méthode ou le support de l’argumentation, elle met en présence deux thèses : l’une défendue, l’autre réfutée.

A. Le thème et la thèse :

·               Chercher le thème d’une argumentation, c’est répondre à la question «  de quoi s’agit-il dans ce texte, ou dans ce discours ? ».

·               Trouver la thèse défendue par l’auteur c’est comprendre quel avis il soutient par rapport à ce thème. Chez Montesquieu par exemple «  l’esprit des lois », il s’agit de militantisme contre l’esclavage.

·               La Thèse défendue.

·               C’est l’idée soutenue par l’argumentateur.

·               Ex. : défendre l’idée qu’internet est mieux que la télévision.

·               La Thèse réfutée

·               C’est l’idée combattue. L’argumentateur doit démontrer que cette thèse est fausse ou en partie inexacte.

·               Ex. : combattre l’idée que la télévision est moins bien qu’internet.

·               Toutes les affirmations ne sont pas des thèses. Par exemple « la baleine est un mammifère marin » n’est pas une thèse car personne ne le conteste. En revanche : « la baleine est le plus attachant des mammifères marins » est une thèse car cette affirmation est sujette à discussion.

·               Le thèse est parfois explicite : l’auteur peut, par exemple, l’écrire à la première personne et en prenant clairement position. Cependant, il arrive souvent qu’elle soit implicite et que, comme dans le texte de Montesquieu, on la comprenne à la lecture.

B. Les arguments et les exemples :

·               Les arguments sont des idées avancées pour étayer la thèse défendue.  Pour être efficaces, ils doivent être pertinents, autrement dit entretenir une relation logique avec la thèse, et valides pour l’auditoire ou le lecteur.

·               Ils peuvent être de plusieurs types : faits assurés, évidences ou avis scientifiques faisant autorité.

·               Ils sont reliés entre eux par des articulations logiques qui indiquent la cause ( « car », « en effet », etc.) la conséquence ( « ainsi », « c’est pourquoi », etc.), l’opposition ou le but (« afin », «  pour que », etc.)

·               Chaque argument est en général suivi d’un exemple qui permet de le rendre concret, en en donnant une illustration.

Lire le texte suivant et relevez le thème, la thèse, les arguments et les exemples

·         Au XXIe siècle, l’égalité entre les femmes et les hommes n’est toujours pas une réalité. Pourquoi est-il si difficile d’accorder aux femmes la même place qu’aux hommes ? Il n’y a aucune raison pour qu’une femme soit moins payée qu’un homme pour un travail égal. Or c’est bien le cas. De nos jours, en France, à même temps de travail, même secteur, même taille d’entreprise, même catégorie professionnelle… l’écart de salaire frôle les 10 % ! De la même manière, il n’est pas normal que la plupart des postes à responsabilité soient occupés par des hommes. Selon les données fournies par la Commission européenne, en France en 2017, seuls 33 % des cadres supérieurs sont des femmes. C’est plus qu’aux Pays‑Bas et en Grèce (25 %), beaucoup plus qu’au Luxembourg (18 %) mais moins qu’en Pologne et en Slovénie (41 %), qu’en Hongrie et en Suède (39 %). En tout cas, aucun pays de l’UE n’arrive à la parité dans ce domaine.

Observer

·         L’étude de textes argumentatifs occupe une place importante dans les cours de français au lycée. Cela semble tout à fait justifié, car il est essentiel de maîtriser l’argumentation avant d’entamer sa vie d’adulte. D’une part, cela permet de ne pas se laisser influencer de manière inconsciente par ceux qui maîtrisent l’argumentation, qu’ils soient hommes politiques ou publicitaires, par exemple. D’autre part, savoir argumenter permet de se faire entendre, de réaliser ses envies. Ainsi, entre deux candidats pour un poste, si les profils sont identiques, celui qui sait argumenter sera forcément favorisé.

·         a. Quel est le thème général du texte ? Reformulez‑le.

·         b. Quelle est l’opinion de l’auteur par rapport à ce thème ? Relevez la phrase qui la révèle.

·         c. Avec quels arguments l’auteur défend‑il son point de vue ?

·         d. Quels exemples donne‑t‑il pour illustrer chacun des arguments ?

·         e. Comment distinguez‑vous les arguments des exemples ?

Les types d’arguments

·               1. L’argument logique (ou pragmatique): Il repose sur une logique cause / conséquence.

·               EX: → Ce travail est moins rémunéré car il demande moins de qualifications.

·               2. L’argument de valeur: Telle idée est valable car elle est conforme à des valeurs partagées ou à l’éthique.

·               EX: → Les femmes doivent être payées comme les hommes : nous sommes tous égaux !

·               3. L’argument d’autorité: Telle idée est valable car elle vient d’une personne compétente, respectée. Il peut s’agir du locuteur lui-même.

·               EX: → Comme l’écrit Aristote, …
→ J’ai 25 ans d’expérience dans ce domaine, et je vous assure que …

·               4. L’argument ad hominem: C’est l’inverse de l’argument d’autorité : telle idée n’a pas de valeur car la personne qui la soutient n’est pas compétente.

·               EX: → M. X prétend que l’erreur est informatique. Mais M. X sait à peine envoyer un email !

P1 Mais P2 : L’argument qui précède le connecteur « mais » est toujours plus faible que celui qui le suit.

P2 est plus fort que P1.

·               a. Dans le texte suivant, quel argument la liste d’exemples illustre‑t‑elle ?

·               b. Quel est l’autre argument présent ?

·               c. Parmi ces deux arguments, lequel défend l’auteur et lequel réfute‑t‑il ? Justifiez votre réponse.

·               Pourtant, ils essaient tous désespérément d’exister et d’être reconnus, et d’être uniques, ils ont leur page personnelle sur Internet, ils y publient leurs photos, ils y expriment leurs opinions, ils y dressent la liste de leurs goûts, de leurs attentes et de leurs centres d’intérêt, comme autant de preuves tangibles de leur existence, et ils ne parviennent qu’à bâtir un temple vide dédié au culte d’un fantôme.

Jérôme Ferrari, Un dieu un animal, 2009, Actes Sud.

II. Les stratégies argumentatives

·               Démontrer, convaincre, persuader, délibérer

·               Argumenter, c’est exposer des idées en vue de défendre ou de s’opposer à une opinion. L’argumentation peut être directe lorsque l’auteur argumente personnellement et que son message est explicite, mais elle peut aussi être indirecte lorsque l’auteur exprime indirectement son point de vue.

·               La manière dont on va argumenter, que l’on appelle stratégie argumentative, se détermine en fonction de l’enjeu et du thème de l’argumentation. Il s’agit de choisir entre délibérer, convaincre ou persuader pour remporter l’adhésion de son interlocuteur.

·               Pour soutenir la thèse, les arguments sont disposés par un ordre logique qui constitue le raisonnement et permet de suivre la progression de la pensée de l’auteur.

A. Démontrer et délibérer :

·               La démonstration est une démarche scientifique qui s’appuie sur des données objectives ou des arguments irréfutables. Elle permet d’établir une vérité vérifiable par tous.

1. Les démarches déductives et inductives de la démonstration

·               Le raisonnement déductif part d’une généralité pour déduire une conclusion particulière.

·               Le raisonnement inductif procède de la démarche inverse, partant d’un fait observé pour établir une généralité : Dans « Les Misérables », Victor Hugo raconte l’histoire de Fantine, tombée dans la misère et la prostitution. Le narrateur poursuit alors : « Qu’est-ce que c’est que cette histoire de Fantine ? c’est la société achetant une esclave. A qui ? à la misère»

·               L’histoire de Fantine conduit de façon inductive à la notion générale d’esclavage féminin.

2. Délibérer :

·               Délibérer n’est pas démontrer. Délibérer c’est peser le pour et le contre d’une question pour prendre une décision fondée.

·               La délibération peut avoir lieu dans l’essai argumentatif ou dans le dialogue entre des personnages ayant à prendre une décision commune.

·               Au théâtre et dans certains romans, le monologue et le monologue intérieur peuvent être également délibératif.

·               On peut utiliser en exemple un texte délibératif célèbre de la littérature : le monologue de Rodrigue dans l’acte I scène 6 du Cid de Pierre Corneille ( 1637).

·               Dans cet extrait le personnage exprime son dilemme entre l’honneur familial et l’amour. Son père, Don Diègue, a été giflé par le père de la femme qu’il aime, Chimène. Doit-il venger son père ou s’abstenir pour l’amour de sa Chimène ?

·               […]

·               O Dieu! l’étrange peine!

·               En cet affront mon père est l’offensé,

·               Et l’offenseur le père de Chimène!

·               Que je sens de rudes combats!

·               Contre mon propre honneur mon amour s’intéresse:

·               Il faut venger un père, et perdre une maîtresse;

·               L’un m’anime le cœur, l’autre retient mon bras.

·               Des deux côtés mon mal est infini

·               O Dieu! l’étrange peine!

·               Faut-il laisser un affront impuni?

·               Faut-il punir le père de Chimène?

B. Convaincre ou persuader ?

·               Pour convaincre un auditeur, il faut l’engager à adhérer à la thèse qu’on lui propose en faisant appel à sa raison.

1. Convaincre

·               Il existe plusieurs manières d’organiser l’argumentation pour convaincre. Les arguments successifs sont parfois liés par des connecteurs logiques qui structurent le mouvement de pensée, comme «  d’abord », « ensuite », et « enfin ».

·               On peut également utiliser un raisonnement analogique, procédant par comparaison, comme Aristote le fait dans « La rhétorique ». Le philosophe écrit : «  il ne faut pas que les magistrats soient tirés au sort : c’est en effet comme si on choisissait les athlètes par le sort, non pas ceux qui ont les aptitudes pour concourir, mais ceux qu’auraient favorisés la chance ».

·               Le raisonnement peut aussi s’opérer par concession. Les arguments sont alors introduits par des connecteurs logiques qui expriment la relation concessive, comme «  même si » ou « bien que ».

2. Persuader

·               Le mot «  persuader » vient du latin « persuadere » que l’on peut traduire par «  conseiller fortement ».

·               Le locuteur qui cherche à persuader son auditeur ne fait pas appel à sa raison mais à  ses sentiments et à ses émotions.

·               Le locuteur sera donc fortement présent et cherchera avant tout la sympathie de son auditoire, en insistant sur sa propre honnêteté, et en suscitant la pitié ou l’affection.

III. Argumentation directe ou indirecte?

·               A. L’argumentation directe :

·               Un auteur argumente directement lorsqu’il argumente lui-même, personnellement, sans utiliser d’intermédiaire. Il ne fait pas passer son message à travers un récit ou une fiction. Le message est explicite. La thèse est clairement formulée. Le lecteur n’a pas besoin de déduire le message à partir d’un récit tel que le conte.

Où trouver une argumentation directe ?

·               Dans les essais car on propose une réflexion personnelle d’un auteur sur un sujet :

·               Le point de vue de l’auteur y est explicite.

·               Le point de vue exposé est personnel à l’auteur

1. L’essai

·               L’essai : un genre de l’argumentation directe

·               Il est défini comme un texte d’idées. Son but n’est pas de construire un monde fictif, qu’il soit sous forme de récit ou de pièce de théâtre, mais de développer une réflexion sur un thème d’ordre littéraire, politique, religieux, scientifique, etc.

·               La réflexion est personnelle : un « je » s’exprime, que l’auteur choisisse une énonciation à la première personne ou qu’il s’efface derrière les pronoms « nous » ou « on ».

·               Exemple célèbre : Les Essais de Montaigne (humaniste du XVIème siècle)

2. Le pamphlet :

·               c’est un texte assez court et très violent dans lequel l’auteur s’attaque au pouvoir en place ou à une position de pouvoir (personne connue, institution). L’auteur exprime son indignation et défend sa propre vérité.

3. La maxime :

·               un texte très bref (quelques lignes) qui énonce une opinion au présent de vérité générale sans réellement argumenter. La maxime peut tracer une ligne de conduite, elle a une visée moraliste.

B. L’argumentation indirecte :

·               L’auteur argumente indirectement lorsqu’il n’argumente pas personnellement mais à travers une fiction pour faire passer son message. C’est donc à travers un narrateur ou un personnage de théâtre, de conte, de fable que l’auteur transmet son message.

·               Le message est implicite, il n’est pas donné directement au lecteur. Le lecteur doit déduire le message de la fiction racontée.

Où trouver une argumentation indirecte ?

·               Dans l’apologue car l’apologue est un récit qui sert à illustrer une morale.

·               Le message de l’auteur est implicite : il faut le déduire du récit.

·               Le message de l’auteur n’est pas exprimé en son nom personnel.

1. La fable :

·               Définition : Les termes fable (du latin fabula, «parole») et apologue (du grec apologos, «discours sur quelque chose, narration») sont employés de manière synonymique. On le voit dans cette définition de La Fontaine :

·               L’apologue est composé de deux parties, dont on peut appeler l’une le Corps, l’autre l’Âme. Le Corps est la Fable ; l’Âme, la Moralité.

·               Le récit s’organise autour d’animaux, de végétaux, ou d’hommes. Il peut être lu au premier degré, mais il a un sens second, souvent à caractère moral, que le lecteur doit déchiffrer. L’apologue a donc une visée didactique.

·               On analyse le récit (ou fable proprement dite) comme un exemple argumentatif et la moralité comme la thèse.

2. Le conte philosophique

·               Le conte philosophique développe, en passant par le récit, des idées qui pourraient aussi bien faire l’objet d’un essai philosophique. Ainsi, dans Candide, Voltaire se moque du philosophe Leibniz et de sa conception de l’optimisme.

3. L’Utopie

·               L’utopie est un genre qui suit des règles précises. Le récit se déroule dans un lieu clos. Cette clôture permet de mettre en scène un monde isolé, autonome qui, privé du contact avec notre monde, a développé sa propre organisation, ses propres valeurs et ses propres règles.

·               Le monde de l’utopie inverse nos règles et nos valeurs pour mieux en démontrer l’inanité. Sa fonction est avant tout critique. Elle permet une réflexion philosophique et politique.

·               Ex: L’île des esclaves de Marivaux,

IV. Les registres du texte argumentatif.

·               Même si l’apologue a une finalité didactique, la critique est possible à travers différents registres comme le registre polémique, comique et satirique.

le registre polémique

·               Du grec «polemos», signifiant «combat», le registre polémique est synonyme de violence verbale entre deux interlocuteurs. Le texte polémique comporte une ponctuation expressive avec notamment des exclamations, des interjections et des interrogations

·               L’auteur ou le narrateur d’un texte polémique attaque ouvertement un personnage, une institution, une idée.

Le registre comique:

·               C’est aussi un moyen efficace pour critiquer. Il peut se décliner en plusieurs constantes : l’humour, l’absurde, l’ironie.

·               1. L’humour:

·               consiste à traiter de manière légère un événement tragique: dans le chapitre VI de Candide, consacré à l’autodafé, l’horreur est présentée avec légèreté.

·               2. L’absurde:

·               il permet de confronter deux éléments qui n’ont rien en commun. Dans le même chapitre de Candide, Pangloss est accusé d’avoir parlé, il est pendu; Candide est accusé d’avoir écouté avec un «air d’approbation», il est fessé.

·               3. L’ironie:

·               elle consiste à dire le contraire de ce que l’on pense. Par exemple, pour désigner la réalité de l’emprisonnement, Voltaire passe par l’euphémisme «des appartements d’une extrême fraîcheur, dans lesquels on n’était jamais incommodé du soleil».

·               L’humour, l’ironie et l’absurde divertissent le lecteur et captent ainsi plus facilement son attention qu’un discours théorique.

Le registre satirique:

·               Il permet de dénoncer des situations en les ridiculisant. Il permet de faire réagir le lecteur grâce notamment à l’ironie et par l’exagération de certains traits.

Conclusion

·               L’objectif de la littérature argumentative, que ce soit de manière explicite à travers une démonstration pure ou par le biais du divertissement, est de remettre en question les acquis d’une société en mutation, de corriger les travers des peuples et d’envisager pour eux un monde meilleur.


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