Explication linéaire IX


Acte I, scène première : l’exposition

Acte Premier

Le théâtre représente une chambre à demi démeublée ; un grand fauteuil de malade est au milieu. Figaro, avec une toise, mesure le plancher. Suzanne attache à sa tête, devant une glace, le petit bouquet de fleurs d’oranger, appelé chapeau de la mariée.

Figaro, Suzanne
[…] Figaro. — Tu prends de l’humeur contre la chambre du château la plus commode, et qui tient le milieu des deux appartements. La nuit, si madame est incommodée, elle sonnera de son côté ; zeste1, en deux pas tu es chez elle. Monseigneur veut-il quelque chose : il n’a qu’à tinter du sien ; crac, en trois sauts me voilà rendu.
Suzanne. — Fort bien ! Mais quand il aura tinté le matin, pour te donner quelque bonne et longue commission, zeste, en deux pas, il est à ma porte, et crac, en trois sauts…
Figaro. — Qu’entendez-vous par ces paroles ?
Suzanne. — Il faudrait m’écouter tranquillement.
Figaro. — Eh, qu’est-ce qu’il y a ? bon Dieu !
Suzanne. — Il y a, mon ami, que, las de courtiser les beautés des environs, monsieur le comte Almaviva veut rentrer au château, mais non pas chez sa femme ; c’est sur la tienne, entends-tu, qu’il a jeté ses vues, auxquelles il espère que ce logement ne nuira pas. Et c’est ce que le loyal Bazile, honnête agent de ses plaisirs, et mon noble maître à chanter, me répète chaque jour, en me donnant leçon.
Figaro. — Bazile ! ô mon mignon, si jamais volée de bois vert, appliquée sur une échine, a dûment redressé la moelle épinière à quelqu’un…
Suzanne. — Tu croyais, bon garçon, que cette dot2 qu’on me donne était pour les beaux yeux de ton mérite ?
Figaro. — J’avais assez fait pour l’espérer.
Suzanne. — Que les gens d’esprit sont bêtes ! 3
Figaro. — On le dit.
Suzanne. — Mais c’est qu’on ne veut pas le croire.
Figaro. — On a tort.
Suzanne. — Apprends qu’il la destine à obtenir de moi secrètement, certain quart d’heure, seul à seule, qu’un ancien droit du seigneur4… Tu sais s’il était triste !
Figaro. — Je le sais tellement, que si monsieur le Comte, en se mariant, n’eût pas aboli ce droit honteux, jamais je ne t’eusse épousée dans ses domaines.
Suzanne. — Eh bien, s’il l’a détruit, il s’en repent ; et c’est de ta fiancée qu’il veut le racheter en secret aujourd’hui.
Figaro, se frottant la tête. — Ma tête s’amollit de surprise, et mon front fertilisé…
Suzanne. — Ne le frotte donc pas !
Figaro. — Quel danger ?
Suzanne, riant. — S’il y venait un petit bouton, des gens superstitieux…
Figaro. — Tu ris, friponne ! Ah ! s’il y avait moyen d’attraper ce grand trompeur, de le faire donner dans un bon piège, et d’empocher son or !
Suzanne. — De l’intrigue et de l’argent, te voilà dans ta sphère. […]

1.        Interjection qui exprime une action rapide.
2.        Biens matériels donnés au marié par la famille de la mariée.
3.        Que les gens d’esprit sont bêtes ! Citation extraite des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos.
4.        Droit de cuissage, coutume du Moyen Âge qui octroyait aux seigneurs le droit d’avoir des relations sexuelles avec la femme d’un vassal la première nuit des noces.

Explication linéaire IX

Scène d’exposition

Introduction de l’explication linéaire

·               Présentation de l’auteur…

·               Présentation du théâtre du XVIIIe siècle…

·               La scène s’ouvre in medias res sur le dialogue de Figaro et Suzanne, sa fiancée, qu’il doit épouser le jour même. Les deux jeunes gens se disputent au sujet d’une chambre accordée par le maître des lieux, le Comte Almaviva, aux futurs mariés qui sont aussi ses domestiques.

·               Nous étudierons comment l’exposition présente d’emblée l’enjeu politique de la comédie. Le texte s’organise en deux mouvements : du début à « bon Dieu ! », la dispute de Figaro et Suzanne, et de « Il y a que… » à la fin de l’extrait, la révélation du projet coupable du Comte.

Premier mouvement

·               La didascalie initiale précise le lieu, « une chambre à demi démeublée », et un accessoire scénique: « un grand fauteuil de malade ». Le fauteuil fonctionne également comme un marqueur du genre de la comédie car il rappelle celui du Malade Imaginaire de Molière, auteur auquel Beaumarchais fait souvent référence. Le lieu est « à demi démeublé », c’est-à-dire, un ameublement non achevé où il manque le lit, objet symbolique du couple et du désir. 

·               Les personnages sont présentés en action, Figaro prend les mesures de la pièce tandis que Suzanne se prépare pour son mariage. Le spectateur découvre un cadre spatial qu’il connaît depuis le Barbier de Séville : le château du comte Almaviva situé en Espagne. Il découvre également l’intrigue : nous sommes au matin des noces de Figaro et Suzanne, menacées par les projets du Comte.

·               Le premier mouvement du texte est marqué par la dispute des deux personnages ; chacun argumente. Figaro vante la situation géographique de la chambre par un superlatif, « la plus commode », et estime les distances (« tient le milieu, en deux pas, en trois sauts ») pour montrer que l’un et l’autre sont proches des chambres de leur maître et maîtresse et pourront les servir plus rapidement. Il ponctue ses explications d’interjections ou onomatopées qui rappellent la parlure des valets de comédie : « zeste, crac ».

·               Suzanne retourne l’argument de Figaro et fait apparaître le sous-entendu sexuel : elle reprend les mots importants de la tirade de son fiancé : « quand il aura tinté, zeste, en deux pas, et crac, en trois sauts… » L’aposiopèse qui laisse la réplique inachevée provoque le rire du public qui a compris les craintes de Suzanne : subir les assauts du comte.

·               La double énonciation fonctionne. Le public comprend l’implicite tandis que Figaro s’interroge. Les trois dernières répliques du premier mouvement s’enchaînent de manière rapide et donnent du rythme à la scène. Ces stichomythies manifestent l’impatience de Figaro et les craintes de Suzanne soulignées par l’adverbe « tranquillement ». Elle redoute la jalousie du valet.

Deuxième mouvement

·               Suzanne dresse le portrait du Comte qu’elle présente comme un Dom Juan « las de courtiser les beautés des environs ». La structure emphatique de la phrase doublée d’une apostrophe (« c’est sur la tienne […] qu’il a jeté ses vues », « entends-tu ») met l’accent sur le danger qui hante Suzanne et sa volonté d’en avertir Figaro.

·               Bazile est présenté par antiphrases, « honnête agent de ses plaisirs », « noble maître à chanter ». L’ironie porte également sur le mot « leçon » qui peut être compris de deux manières : Leçon de musique ou discours pour servir les intérêts de son maître. L’agressivité de Figaro à l’encontre de Bazile éclate par l’expression familière « ô mon mignon ! ». Le valet s’imagine frapper Bazile : « volée de bois vert ».

·              Suzanne souligne la naïveté de Figaro qui croit obtenir Suzanne de son maître sans condition. Celui-ci rappelle les services qu’il a rendus à son maître antérieurement pour l’aider à conquérir Rosine, son épouse : « J’avais assez fait pour l’espérer ». La réplique fonctionne sur la double énonciation.

·               L’exclamation « Que les gens d’esprit sont bêtes ! » est une citation empruntée aux Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos (1782). Elle souligne l’aveuglement de Figaro vis-à-vis des intentions de son maître lorsque ce dernier a choisi d’installer le couple dans une chambre à proximité de la sienne. Suzanne explicite encore sa pensée et ouvre les yeux de Figaro en rappelant un ancien droit du seigneur, le droit de cuissage.

·         La surprise de Figaro est grande et le comique de farce apparaît avec les allusions aux cornes symboliques qui poussent sur le front du mari trompé : « mon front fertilisé », « ne le frotte donc pas ! », « S’il y venait un petit bouton… », « Tu ris, friponne ! ». La mention du rire marque encore le genre comique.

·         Figaro est décrit comme un valet de comédie : rusé, comme Scapin des Fourberies de Scapin, le Comte est décrit comme un Dom Juan et Suzanne apparaît comme une servante rusée et ingénieuse.

·         C.C

·         Le dialogue de cette comédie est marqué par une situation inversée où les valets tiennent le premier rôle. La représentation sociale est en vogue depuis l’avènement du drame bourgeois théorisé par Diderot. Les enjeux du pouvoir sont mis en évidence et illustrent les propos de Beaumarchais dans la Préface : « ni bon ni vrai comique au théâtre sans des situations fortes, et qui naissent toujours d’une disconvenance sociale dans le sujet que l’on veut traiter ».

Grammaire

·               Analysez la proposition subordonnée dans la phrase suivante :

·               « Tu prends de l’humeur contre la chambre du château la plus commode, et qui tient le milieu des deux appartements. »

·               → « qui tient le milieu des deux appartements » est une proposition subordonnée relative complément de l’antécédent « chambre ».

·               La proposition subordonnée relative a pour fonction d’être complément de l’antécédent.  

·               Figaro pose plusieurs questions à Suzanne, notamment : « Qu’entendez-vous par ces paroles ? » (l. 30) et « Eh qu’est-ce qu’il y a ? » (l. 32). Récrivez-les en employant des propositions subordonnées interrogatives indirectes. Vous commencerez par : « Figaro demande à Suzanne… ». Vous veillerez à l’ordre des constituants dans la phrase.

·               — Figaro demande à Suzanne ce qu’elle entend par ces paroles.

·               — Figaro demande à Suzanne ce qu’il y a.

·               On passe d’une phrase interrogative directe à une phrase déclarative comprenant une proposition subordonnée interrogative indirecte dans laquelle le sujet n’est pas inversé.


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