Explication linéaire N°6: Le roman


Explication linéaire n°6

la scène de l’aveu

·               La Princesse de Clèves de Mme de Lafayette, 3ème partie, la scène de l’aveu, de « Eh bien Monsieur, lui répondit-elle, en se jetant à ses genoux […] » à « […] par la pensée qu’il était incapable de l’être » (p.129-130)

Présentation de l’auteur

·               Marie-Madeleine Pioche, comtesse de Lafayette, née le 18 mars 1634 à Paris et morte le 25 mai 1693 dans la même ville, est une écrivaine du classicisme et une femme des lettres française.

Présentation de l’œuvre

·               Mme de Lafayette écrit en1678 La princesse de Clèves : roman dont on a pu dire qu’il crée le genre dans son acception moderne car n’est plus centré sur les actions, les aventures extraordinaires de héros courageux mais sur l’intériorité du personnage. Un roman sans action ! Tout ce qui s’y passe  est à l’intérieur de l’héroïne, héroïne classique dans son sens de la loi morale et du sacrifice…

Situation du passage

·               Dans cette 3e partie, l'aveu intervient à un moment où la princesse s'est rendu compte qu'elle ne pouvait aucunement lutter contre l'amour qu'elle ressent pour M. de Nemours. Submergée par la jalousie (l'épisode de la lettre) et la honte (le moment de plaisir partagé avec M. de Nemours pendant l’écriture de la lettre), elle décide qu'il lui faut « assurer sa vertu ».

·               La princesse a peur d'elle-même et de l'immoralité à laquelle peuvent conduire les passions. Constatant la faiblesse de sa volonté, elle avoue son amour adultère à son mari pour rester digne de lui.

·               Cet aveu, acte central du roman, décisif pour la suite, passe pour être un exceptionnel élan de sincérité, si incomparable qu’il sera jugé invraisemblable par les lecteurs contemporains de MDLF.

·               Mais il s'agit ici de peindre un personnage hors du commun et d'observer les conséquences d'une telle tentative.

Composition du passage

·               L'épisode de l'aveu confère à l'analyse des passions une place centrale. Elles sont non seulement énoncées, mais le lecteur peut aussi en lire le témoignage à travers les corps et gestes des personnages. Passage en 3 moments donc : le premier, l’aveu de la princesse, au discours direct (moment dramatique traité sur le mode théâtral). 2e moment : description des personnages, gestes de M. de Clèves « pendant tout ce discours ».

·               3e moment, la réponse du mari trompé. Forte tension entre discours / récit ; aveu/ réponse ; 1ère tirade/ 2e tirade. Intérêt du 2e moment ?

Projet de lecture

·               Quel discours sur le cœur et ses malheurs émerge de cette scène dialoguée? L'aveu, moment dramatique par excellence, concrétisant la volonté de rendre son cœur transparent à l'autre, affirme-t-il ou infirme-t-il la tentative d'héroïsme ? Qui est le personnage véritablement « héroïque » dans ce passage ?

1- Le discours de la princesse

·               L'aveu montre la transparence de la princesse. Le « Eh bien » marque la violence sur soi, l’effort qu’il y a à livrer cette confession. Le geste accompagne la parole, comme au théâtre « en se jetant à ses genoux ». Ce gérondif (en + participe présent) implique une relation de cause et de moyen. Ce geste relève-t-il de la sincérité ou de l’habileté rhétorique et  théâtrale ? L’hyperbole « que l’on n’a jamais fait à son mari » relève-il de l’héroïsme?

·               Elle explique son comportement (« il est vrai que j'ai des raisons de m'éloigner de la Cour et que je veux éviter les périls où se trouvent quelque fois les personnes de mon âge »). Tournure impersonnelle. Elle reprend les mêmes mots que sa mère a employés pour la mettre en garde contre les dangers de la cour.

·               « Je n’ai jamais donné nulle marque de faiblesse » : mais le tournoi, mais le portrait dérobé ! Qui va jusqu’au mensonge ?

·               Elle avoue sa faiblesse (sa crainte « de laisser paraître »): cette passion n’est pas digne de son rang et de son « éclat ». Sa résolution n’est qu’un désir de fuite (se retirer de la cour). Une absence d’autonomie (« pour aider à me conduire ».)

·               Deux subordonnées circonstancielles de condition (si) coordonnées par « ou », marquant leur équivalence, la placent en position d’objet (« me ») la désignent comme objet sacrificateur. L’héroïne est gouvernée par une passion fatale (Phèdre).

·               Appel à la pitié dans le vocabulaire hyperbolique : « Je vous demande mille pardons », « je ne vous déplairai jamais par mes actions ». A noter la valeur du futur simple de l’indicatif qui vaut comme engagement formel.

·               Mais en opposant « sentiments » aux « actions », elle apporte la preuve que l’amour conjugal n’existe pas. Sa véritable sincérité est peut-être là ! Et elle est cruelle !

·               3 impératifs juxtaposés la placent sous l’autorité et l’amour de son mari. « Aimez-moi encore, si vous pouvez » ne signifie pas seulement : s’il est possible de m’aimer malgré ma culpabilité ; mais aussi : si vous en êtes capable, si vous pouvez vous situer à la même hauteur morale que moi. Cruauté de l’amour-propre : elle croit s’adresser à un « mari » mais elle oublie que monsieur de Clèves est demeuré son « amant » !

2- Descriptions des personnages et réactions du prince

·               Le 2e moment du passage est marqué par un retour à la ligne et aux temps du récit. Le plus que parfait souligne que l’action en train de se dérouler (« était demeuré »), répété par le complément circonstanciel « pendant tout ce discours ». La gestuelle montre le désespoir et l’influence de la tragédie (« la tête appuyée sur ses mains »).

·               Les marques de la mise en scène dramatique de l'aveu : (agenouillement, « tête appuyée sur les mains », « visage couvert de larmes », « beauté si admirable »). La princesse se livre à un véritable acte, une sorte d'éloquence gestuelle.

·               M. de Clèves est si surpris et touché qu'il reste « hors de lui-même », expression à mettre en parallèle avec « il n’avait pas songé à … ».

·               La phrase suivante, complexe, débutant par une conjonction de subordination de temps « quand », juxtaposée par asyndète: « qu’il (…) qu’il », avec la reprise de l’anaphore « il », crée un effet d’attente. Réponse au spectacle de ce « visage couvert de larmes », cette « beauté si admirable ». L’expression « qu’il jeta les yeux sur elle » : montre qu’il avait baissé les yeux, touché par la honte de l’aveu, soucieux de son manque de gloire et d’éclat ?

·               Mais son geste annonce déjà la nature de sa réponse (« l’embrassant en la relevant » / « pensa mourir de douleur ») le fait voir comme le parfait amant animé d’un pur amour pour sa dame. Ce deuxième moment n’est donc pas une simple transition mais comme un prologue éclairant les paroles du prince.

3- Réponse de monsieur de Clèves

·               Il commence par implorer la pitié et se montre sensible au mérite de la princesse ; au « si vous pouvez », il répond par « j’en suis digne ». S’il met en avant son « affliction violente », il ne livre pas tout de suite ses sentiments (« je ne livre pas. .. » ) mais met en avant le mérite de la princesse : « vous me paraissez plus digne d’estime et d’admiration ».

·               Vocabulaire hyperbolique « que tout ce qu’il y a jamais eu de femmes au monde ». Le « mais » (L. 519) vient ensuite introduire un discours pathétique: « je me trouve le plus malheureux homme qui ait jamais été ».

·               A noter le « je me trouve », manière d’accuser la situation tragique et non directement la princesse. Autre preuve de sa délicatesse ?

·               « Vous m’avez donné de la passion dès le premier moment que je vous ai vue »: Le pronom personnel complément « me » et le sujet « vous » indiquent le caractère impétueux d’une « inclination » contre laquelle on ne peut lutter. Le pathétique du discours est rendu par les mots « vos rigueurs et votre possession » et révèlent la plainte d’un homme qui ne se contente pas d’être un mari (« possession ») mais voudrait être un amant.

·               Il est « trompé » en pensée comme mari, et c’est ici sa première douleur mais il est surtout bafoué comme amant, et c’est là sa seconde et plus grande douleur : « Je n’ai jamais pu vous donner de l’amour et je vois que vous craignez d’en avoir pour un autre ».

·               Son chagrin est ensuite marqué par quatre questions pressantes, juxtaposées. Qui ? Depuis quand ? Qu’a-t-il fait ? Quel chemin ? Le désespoir se mêle à la colère.

·                « cet homme heureux », cet « autre », dont l’identité obsède le prince.

·               La dernière phrase indique que la douleur de l’amant est plus forte que la colère de l’époux. Il s’était persuadé ou plutôt « consolé en quelque sorte » (euphémisme de « quelque sorte » en vérité souffrance constante !) de penser que le cœur de la princesse était insensible à l’amour.

C.C

·               Le prince ignore encore le nom de l’amant. En revanche, ce qui est révélé ici est le pur amour qui le conduira à l’obsession et à la mort. Qui est le plus « admirable » dans cette page ? L’aveu de la princesse au prince est-il un acte héroïque, admirable, ou faible et méprisable ?

·               Non seulement la sincérité provoque un surcroit de passions malheureuses chez le prince de Clèves, mais il est surtout l’occasion pour Nemours, caché, d’entendre qu’il est aimé.

·               Cette scène ferait penser à Phèdre qui avoue son amour à Œnone, et qui ne l'avoue vraiment à Hippolyte lui-même que lorsqu'elle prend conscience qu'elle s'est déjà trahie.

 

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